Pour une éco-gestalt

Pour une éco-gestalt

Au paradigme gestaltiste « La personne est indissociable de son environnement », n’avons-nous pas besoin de nous rappeler du corollaire « L’environnement est indissociable de la personne » ?

La guerre en Ukraine, la pandémie et les souffrances générées s’invitent dans les cabinets de thérapie et de coaching sous une forme plus ou moins explicite, avec des ressentis, émotions, imaginaires spécifiques à chaque situation accompagnée.

À l’heure de l’anthropocène, cette nouvelle ère géologique caractérisée par l’impact majeur et accéléré de l’être humain sur la planète, la question de la destruction du vivant vient également. Comme nous le rappellent les scientifiques, nous sommes la première génération à ressentir et à comprendre les effets de la crise écologique et la dernière génération à pouvoir agir ! Ou plutôt, nous sommes les premières générations à ressentir et à comprendre les effets de la crise écologique.

Dans les années 2000, le philosophe australien Glenn Albrecht observe une vague de déprime emporter les habitants de la Hunter Valley : l’industrie minière qui s’y est développée, en polluant la région, a radicalement transformé le paysage. Il invente alors, notamment, le concept de "solastalgie"[1] pour décrire la douleur ressentie lorsqu'on prend conscience que l'endroit où l'on réside et/ou qu'on aime est dégradé. C’est « le mal du pays sans exil » ! La solastalgie est vécue au présent alors que l’éco-anxiété, théorisée par Théodore Roszak dès les années 1970, est une peur par anticipation.

Lorsque je retourne dans mon village natal et que je fais ma ballade habituelle le long de l’Eure, je retrouve la rivière et ses abords que je connaissais sur le bout des doigts lorsque j’étais enfant. Il y a une ballastière, des arbres, mais tous les aménagements réalisés depuis quelques années pour en faciliter l’accès ont transformé ce lieu « sauvage ». Il n’y a plus de chevreuils, faisans, lapins. La diversité de la vie animale et végétale est en train de disparaître, mine de rien, année après année.

Une cliente, Martine, que j’accompagne depuis des années en thérapie, est de plus en plus préoccupée par la « situation du monde » comme elle dit, et notamment par la disparition progressive de la biodiversité. Elle cherche sur les réseaux sociaux tout ce qui est publié sur ce sujet. A travers les articles et les vidéos qu’elle regarde quotidiennement, elle imagine tous les jours l’évolution du monde et sort de moins en moins avec ses amies. Elle s’inquiète beaucoup pour sa fille, jeune adulte, qui cherche son chemin professionnel et semble perdue, malgré de belles études universitaires.  

Suite à la sortie du dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), Le Monde (1er mars 2022) met en figure la parole de Dave Reay, directeur du Climate ChangeInstitute de l’Université d’Édimbourg, qui, en utilisant la métaphore de l’effet domino, pense que le changement climatique du XXIe siècle « menace de détruire les fondements de la sécurité alimentaire et en eau, de la santé humaine et des écosystèmes et, finalement, d’ébranler les piliers mêmes de la civilisation humaine ».

La santé humaine est conditionnée par la santé de l’environnement et vice versa. Or la société de croissance industrielle a déconnecté l’être humain de sa connexion directe à la nature. Comme l’affirme Bernard Boisson (2021) : « Nous nous sommes tellement coupés de la nature que nous sommes coupés de notre propre coupure. Et plus nous sommes coupés de notre coupure, plus nous échafaudons une existence qui ignore son ignorance. »

Ce constat peut également être appliqué aux entreprises : une entreprise en bonne santé financière n’est pas forcément en bonne santé ! Les chefs d’entreprises eux-mêmes commencent à mettre en œuvre une triple comptabilité (économique, sociale et environnementale) pour évaluer la santé de leur organisation. 

De la Gestalt à l’écogestalt

Dans la lignée des paradigmes notamment bouddhistes d’interdépendance et d’impermanence, la Gestalt est « par nature » écologique : intervention à la frontière-contact organisme / environnement, importance de l’awareness, approche holistique avec une place importante accordée aux dimensions corporelle et spirituelle, posture de champ… 

Y aurait-il un risque que la Gestalt ne conçoive l’environnement que comme un « garde-manger » aux ressources illimitées ? Dans le PHG, le mode de fonctionnement du self est décrit notamment comme « un appétit puissant mais vague qui peut trouver des possibilités dans l’environnement ».

En nous connectant aux racines vivantes de l’écopsychologie, en accompagnant nos clients au plus proche de la nature (en sortant de nos cabinets notamment à travers des séances itinérantes, dans les villes et dans les parcs…), en œuvrant à une critique de la société de croissance industrielle autodestructrice, l’écogestalt peut apporter sa contribution au changement de cap pour « prendre part à la guérison du monde » comme le propose Joanna Macy (2018).[2]

Comme le soutient David Abram (2013)[3], « nous ne sommes humains qu’en contact et en convivialité avec ce qui n’est pas humain ».

« Une approche réellement écologique ne cherche pas à atteindre un avenir envisagé mentalement mais s’efforce de participer, avec toujours plus d’acuité, au présent sensoriel. Elle s’efforce de devenir toujours plus éveillée, sensible aux autres vies, aux autres modes de conscience et de sensibilité qui nous entourent dans le champ ouvert du moment présent. »

Pour un être au monde aussi vaste que l’univers…

 

Bruno Rousseau


Article publié - site FPGT, "A dire" - Printemps 2022
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1. Étymologiquement, ce terme provient du mot anglais solace qui signifie réconfort, et de algie qui veut dire douleur. Cela peut être traduit par la douleur liée à la perte de ce qui nous réconforte, en l’occurrence notre environnement. (note de la rédaction)
2. Citée dans ROUSSEAU Bruno, Pour une écogestalt au service des transitions et du vivant, revue Gestalt N° 56, 2021.
3. ABRAM David, Comment la terre s’est tue. Pour une écologie des sens, La Découverte, Paris, 2013.

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